[LC] « Une aventure d'Alexia Tarabotti, Le Protectorat de l'ombrelle, tome 1 : Sans âme » de Gail Carriger
324 pages, Orbit (janvier 2011)
Plaisir de lecture
Présentation de l’éditeur
Alexia Tarabotti doit composer avec quelques contraintes sociales. Primo, elle n’a pas d’âme. Deuxio, elle est toujours célibataire et fille d’un père italien, mort. Tertio, elle vient de se faire grossièrement attaquer par un vampire qui, défiant la plus élémentaire des politesses, ne lui avait pas été présenté. Que faire ? Rien de bien, apparemment, car Alexia tue accidentellement le vampire. Lord Maccon – beau et compliqué, Écossais et loup-garou à ses heures – est envoyé par la reine Victoria pour enquêter sur l’affaire. Des vampires indésirables s’en mêlent, d’autres disparaissent, et tout le monde pense qu’Alexia est responsable. Découvrira-t-elle ce qui se trame réellement dans la bonne société londonienne ? Qui sont vraiment ses ennemis, et aiment-ils la tarte à la mélasse ?
Mon Avis
Une chose est certaine, « Sans âme » vaut plus pour ses personnages à la Jane Austen que pour son intrigue simpliste et prévisible (chaque rebondissement s'appréhende vingt chapitres à l’avance et le dénouement se devine avant le milieu du livre).
Alexia Tarabotti est un personnage drôle et attachant, fruit d’un croisement réussi et détonnant entre Elizabeth Bennett et l’arrière grand-mère de Buffy. Sa famille fait également songer à la famille Bennett par son obsession du mariage d'argent. Bien qu’un peu plus archétypaux, Lord Maccon et le professeur Lyall sont de forts sympathiques personnages. Le premier constitue un clone lycanthrope de Mr Darcy. Le second est un mélange entre le docteur Watson et Géo Trouvetou. Lord Akelmada, l’ami dandy et vampire d’Alexia, est une égale réussite, apportant son humour et son détachement ironique.
Le style de Gail Garriger est très agréable. A la fois alerte, espiègle et sophistiqué, regorgeant de détails pittoresques qui restituent parfaitement l’atmosphère victorienne et les mœurs du XIXème siècle.
Autre point fort : le côté steampunk du roman (à la limite de l'uchronie) fonctionne à merveille. Quelques scoops historiques s'offrent ainsi au lecteur : la période dite des Lumières serait en réalité le moment où les créatures surnaturelles se sont révélées au grand jour après des siècles sombres et sanglants de clandestinité, la reine Victoria auraient eu un conseiller vampire et un conseiller lycanthrope pour l'aider à régner, et les créatures surnaturelles se seraient alliées aux Confédérés pendant la guerre de Sécession et c’est pour cela que les américains les détesteraient autant ! Manière originale d’accommoder l’histoire européenne et américaine.
L’aspect romance est trop prononcé à mon goût, avec cet incessant jeu du chat et de la souris entre Alexia et Lord Maccon, amusant au départ, mais un peu lourd à la longue. Mais comme ces confrontations verbales et sensuelles sont à l’origine de savoureux dialogues et de situations pleines de cocasserie, nous ferons preuve de mansuétude pour cette fois.
Pour conclure, « Sans âme » est pour moi un « Orgueil et Préjugés » avec des vampires, des loups-garous et des fantômes, des personnages à la Jane Austen, et une bonne dose d’humour et de fraîcheur. Le manque d’originalité de l’intrigue aurait pu être très dommageable mais il ne l'est que peu et on passe tout de même un très bon moment grâce avant tout aux personnages et à l’atmosphère délicieusement british et surrannée du roman.
Le début du roman :
1
Où les ombrelles se révèlent utiles
Mademoiselle Alexia Tarabotti n’appréciait pas sa soirée.
Un bal privé ne peut jamais être que moyennement distrayant
pour une vieille fille et mademoiselle Tarabotti n’était pas du
genre qui pouvait en tirer beaucoup de plaisir. Pour mettre les
points sur les « i » : elle avait battu en retraite dans la bibliothèque,
son sanctuaire favori dans n’importe quelle demeure,
mais pour tomber sur un vampire surprise.
Elle le transperça du regard.
Pour sa part, le vampire semblait trouver que leur rencontre
avait incommensurablement amélioré sa soirée au bal.
Car elle était assise là, sans chaperon, dans une robe de bal
décolletée.
Dans ce cas particulier, c’était ce qu’il ignorait qui pouvait
lui nuire. Car mademoiselle Alexia était née sans âme, ce qui
– tout vampire correct de bonne lignée le savait – faisait d’elle
une dame à éviter avec assiduité.
Et pourtant il avança vers elle, ombre scintillant parmi les
ombres de la bibliothèque, prêt à employer ses crocs pour se
nourrir. Mais à l’instant où il toucha mademoiselle Tarabotti,
il ne fut soudain plus personne et ne fit plus rien. Il resta juste
planté là, un quatuor à cordes jouant en sourdine à l’arrièreplan
tandis qu’il promenait bêtement sa langue à la recherche
de crocs dont il ne savait où et comment il les avait égarés.
Mademoiselle Tarabotti ne fut pas le moins du monde surprise.
L’absence d’âme neutralise toujours les pouvoirs surnaturels.
Elle décocha un regard sévère au vampire. Il ne faisait
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aucun doute que des citoyens diurnes ne l’auraient pas considérée
autrement que comme une vieille fille anglaise typique,
mais cet homme-là n’avait même pas pris la peine de lire le
registre des anormaux de Londres et de ses environs que
tenaient les vampires.
Il retrouva assez rapidement son équanimité. Il s’écarta violemment
d’Alexia en renversant au passage une desserte à thé
voisine. Le contact physique entre eux étant rompu, ses crocs
réapparurent. Il n’était de toute évidence pas des plus futés car
il lança sa tête en avant tel un serpent, plongeant de nouveau
vers son cou pour mordre.
« Mais enfin ! s’écria Alexia, nous n’avons même pas été
présentés ! »
Nul vampire n’avait jamais vraiment tenté de mordre mademoiselle
Tarabotti. Elle en connaissait un ou deux de réputation,
bien entendu, et elle était amie avec lord Akelmada – qui
donc ne l’était pas ? Mais aucun vampire n’avait jamais fait la
moindre tentative concrète pour se nourrir d’elle.
Aussi, Alexia, qui abhorrait la violence, se vit-elle contrainte
de saisir le scélérat par les narines, une partie de son corps
délicate et donc susceptible d’être douloureuse, et de le
repousser au loin. Il tituba par-dessus la desserte renversée,
perdit son équilibre avec un manque de grâce stupéfiant pour
un vampire et tomba à terre. Il atterrit pile sur une assiette de
tartes à la mélasse.
Ce qui troubla terriblement mademoiselle Tarabotti. Elle
avait un goût prononcé pour les tartes à la mélasse et se faisait
une fête de pouvoir consommer cette assiette précise. Elle
ramassa son ombrelle. Emporter une ombrelle à un bal du
soir relevait d’un terrible manque de goût, mais mademoiselle
Tarabotti allait rarement où que ce fût sans son ombrelle. Elle
l’avait entièrement conçue et réalisée elle-même : un objet noir
à fanfreluches sur lequel étaient cousues des pensées mauves ;
la structure était en cuivre et sa pointe en argent contenait de
la chevrotine.
Elle l’abattit droit sur le sommet du crâne du vampire tandis
qu’il tentait de s’extraire de sa nouvelle relation intime avec la
desserte. La chevrotine donnait à l’ombrelle de cuivre ce qu’il fallait de poids pour produire un « ponk » délicieusement
satisfaisant.
« Mal élevé ! » gronda mademoiselle Tarabotti.
Le vampire hurla de douleur et se rassit sur la tarte à la
mélasse.
Alexia utilisa son avantage en plongeant vicieusement son
ombrelle entre ses jambes. Le hurlement monta de plusieurs
crans dans les aigus et il se recroquevilla en position foetale.
Mademoiselle Tarabotti avait beau être une authentique jeune
anglaise bien élevée, en dehors du fait qu’elle n’avait pas d’âme
et était à moitié italienne, elle passait beaucoup plus de temps
que les autres jeunes femmes à monter à cheval et à marcher,
et possédait une force physique surprenante.
Mademoiselle Tarabotti fit un bond en avant – dans la
mesure où l’on peut bondir dans un triple jupon, une tournure
drapée et une jupe de dessus en taffetas plissé – et se
pencha sur le vampire. Il agrippait ses parties inconvenantes
en se tortillant. Étant donné ses pouvoirs surnaturels de guérison,
la douleur n’allait pas durer longtemps, mais entretemps
elle était tout à fait présente.
Alexia tira une longue épingle à cheveux en bois de sa coiffure
élaborée. Rougissant de sa propre témérité, elle ouvrit en
le déchirant son plastron de chemise, qui était bon marché et
trop amidonné, et donna de petits coups sur sa poitrine, juste
au-dessus du coeur. Mademoiselle Tarabotti arborait une
épingle à cheveux particulièrement longue et pointue. Elle
s’assura que sa main libre était en contact avec la poitrine du
vampire. En effet, seul le contact physique pouvait annuler ses
pouvoirs surnaturels.
« Cessez cet horrible bruit tout de suite ! » ordonna-t-elle à
la créature.
Le vampire cessa de couiner et demeura parfaitement
immobile. Ses beaux yeux se remplirent de quelques larmes
tandis qu’il regardait fixement l’épingle à cheveux en bois. Ou,
comme Alexia aimait à l’appeler, son pieu à cheveux.
« Expliquez-vous ! » exigea mademoiselle Tarabotti en
accroissant la pression.
« Mille excuses. » Le vampire semblait désorienté. « Qui
êtes-vous ? » Il porta une main hésitante à ses crocs. Envolés.
Pour rendre sa position parfaitement claire, Alexia cessa de
le toucher (mais laissa son épingle à cheveux pointue au
même endroit). Les crocs repoussèrent.
Il hoqueta de surprise. « Mais qu’êtes-fous ? Z’ai cru que
fous étiez une dame feule. Z’aurais le droit de me nourrir, si
on fous afait laiffée ainsi, fans chaperon. Z’il fous plaît, se ne
voulais pas », zozota-t-il à cause de ses crocs, de la panique
dans le regard.
Alexia avait du mal à ne pas rire.
« Inutile d’en faire toute une histoire. Votre reine a dû vous
parler des gens comme moi. » Elle reposa sa main sur la poitrine
du vampire, dont les crocs se rétractèrent.
Il la regarda comme s’il lui était tout à coup poussé des
moustaches et feula.
Mademoiselle Tarabotti fut surprise. Les créatures surnaturelles,
qu’elles fussent des vampires, des loups-garous où des
fantômes, devaient leur existence à une surabondance d’âme,
un excès qui refusait de mourir. La plupart savaient qu’il existait
des êtres, telle mademoiselle Tarabotti, qui naissaient
sans âme du tout. L’estimable Bureau du Registre des Nonnaturels
(le BUR), une division des services administratifs de
Sa Majesté, appelait ses semblables des paranaturels.
Le vampire eut l’air gêné. « Bien entendu », acquiesça-t-il,
bien que de toute évidence il ne comprît toujours rien.
« Veuillez à nouveau accepter mes excuses, adorable personne.
Je suis bouleversé de faire votre connaissance. Vous
êtes mon premier – il trébucha sur le mot – paranaturel. » Il
fronça les sourcils. « Pas surnaturel, pas naturel, bien
entendu ! Quel idiot je fais, je n’avais pas vu la dichotomie ! »
La ruse étrécit ses yeux. À présent, il ignorait studieusement
son épingle à cheveux et levait un regard tendre vers le visage
d’Alexia.
Mademoiselle Tarabotti savait très bien ce qu’il en était de
ses charmes féminins. Le compliment le plus gentil que pourrait
jamais lui attirer son visage était « exotique », pas « adorable
». Et on ne lui avait jamais prodigué ni l’un ni l’autre.
Alexia en conclut que les vampires, comme tous les prédateurs,
se montraient sous leur jour le plus charmeur lorsqu’ils
étaient acculés.
Les mains du vampire jaillirent en direction de son cou. Il
semblait avoir décidé que, s’il ne pouvait pas lui sucer le sang,
l’étrangler était une alternative acceptable. Alexia bondit en
arrière tout en enfonçant son épingle à cheveux dans la chair
de la créature. Elle y pénétra sur un centimètre environ. Le
vampire se tortilla désespérément, ce qui, même sans force
surnaturelle, déséquilibra Alexia qui portait des chaussures de
bal en velours à hauts talons. Elle tomba en arrière. Il se mit
debout en rugissant de douleur, l’épingle à cheveux dépassant
de sa poitrine.
Mademoiselle Tarabotti roula sur elle-même et sans élégance
dans la vaisselle du thé, tâtonnant à la recherche de son
ombrelle et espérant que sa robe neuve éviterait la nourriture
tombée à terre. Elle trouva l’ombrelle et se redressa en lui faisant
décrire un grand arc de cercle. Par le plus grand des
hasards, la lourde pointe tomba pile sur l’extrémité de son
épingle à cheveux et l’enfonça droit dans le coeur du vampire.
La créature demeura totalement immobile, une expression
d’immense surprise sur son beau visage. Après quoi il bascula
en arrière sur une assiette de tartes à la mélasse qui avaient
déjà beaucoup souffert, et eut des soubresauts mous d’asperge
trop cuite. Son visage d’albâtre vira au gris jaunâtre comme
s’il avait attrapé la jaunisse, et il s’immobilisa. Les livres
d’Alexia dénommaient la fin du cycle de vie des vampires la
dysanimation. Trouvant que cela ressemblait beaucoup à
l’aplatissement d’un soufflé, Alexia décida en cet instant de
baptiser le phénomène Grand Effondrement.
Elle avait l’intention de se propulser aussitôt hors de la
bibliothèque sans que quiconque eût jamais été au courant de
sa présence en ces lieux. Ce qui aurait eu pour conséquence la
perte de sa meilleure épingle à cheveux et d’un thé amplement
mérité, et évité beaucoup de dramatisation. Malheureusement,
un groupe de jeunes dandys entra à ce moment précis.
Que pouvaient bien faire des jeunes gens ainsi vêtus dans une
bibliothèque ? Alexia se dit que la meilleure explication de leur
présence était qu’ils s’étaient égarés en cherchant la salle où
l’on jouait aux cartes. Leur présence l’obligea néanmoins à
prétendre qu’elle venait elle aussi de découvrir le vampiremort. Résignée, elle haussa les épaules, poussa un cri et
s’effondra, évanouie.
Elle demeura résolument évanouie en dépit de la quantité
généreuse de sels qu’on lui fit respirer et qui la firent terriblement
pleurer, d’une crampe à l’arrière d’un genou et du fait
que sa nouvelle robe de bal était en train de se froisser horriblement.
Ses nombreuses strates de dentelles vertes choisies
dans une série de tons de plus en plus clairs à la pointe de la
mode, et assortis au corset-cuirasse, étaient en train de disparaître,
écrasées sous son propre poids. L’inévitable vacarme
s’ensuivit : beaucoup de cris, d’agitation, et de nombreux
bruits de vaisselle tandis qu’une bonne ramassait le thé
renversé.
Puis vint le son qu’elle avait à la fois espéré et craint
d’entendre. Une voix autoritaire vida la bibliothèque aussi
bien des jeunes dandys que de tous les curieux qui avait
accouru dans la pièce quand la scène avait été découverte. La
voix ordonna à tout le monde de « sortir ! » pendant que son
propriétaire s’enquérait « de l’identité de la jeune femme » sur
un ton sans réplique.
Le silence tomba.
« Écoutez-moi bien, je vais utiliser quelque chose de bien
plus fort que des sels », gronda la voix dans l’oreille gauche de
mademoiselle Tarabotti. Elle était grave et teintée d’une trace
d’accent écossais. Si elle avait eu une âme, Alexia aurait
tremblé et eu des pensées primitives de singe où il était question
de courir vite et loin sous la lune. Au lieu de quoi, elle
poussa une exclamation exaspérée et s’assit.
« Bonne soirée à vous aussi, lord Maccon. Quel beau temps
pour cette période de l’année, ne trouvez-vous pas ? »
Elle tapota ses cheveux, qui menaçaient de dégringoler à
présent que son épingle n’était plus à sa place. Elle regarda
subrepticement autour d’elle à la recherche du second de lord
Conall Maccon, le professeur Lyall. Lord Maccon était beaucoup
plus calme quand son Bêta était là. Mais Alexia en était
venu à comprendre que c’était là le rôle principal d’un Bêta,
surtout s’il était attaché à lord Maccon.
« Ah, professeur Lyall, ravie de vous revoir. »
Elle sourit, soulagée.
Lecture commune organisée chez
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Nouvelle lecture pour le Challenge de Choukette.