[LC] « Raison et Sentiments » de Jane Austen
Ce premier roman de la romancière anglaise est incontestablement inférieur au divin « Orgueil & Préjugés ».
Il est beaucoup question d’argent, de convenances, et bien sûr d’amour dans ce roman qui illustre à merveille la mesquinerie et l'hypocrisie ordinaires ayant cours dans la bonne socièté du 19ième siècle.
La plume de Jane Austen, si elle s’embarrasse parfois de phrases un peu alambiquées, demeure délicieusement ironique et vitriolée pour égratigner son milieu, ses contemporains et leurs mœurs.
Critique de la passion, éloge de la raison, Jane Austen met en concurrence deux sœurs, deux caractères et surtout deux façons différentes d’aimer d’où le titre. L’intrigue traite presque exclusivement de tourments amoureux, chacune des sœurs éprouvant les affres de l’amour déçu, mais aussi comme à l’accoutumée des obstacles sociaux et financiers qui forment les noirs cortèges des amours Austeniennes. Comme d’habitude, elle avance à coups de malentendus et à grands renforts de quiproquos (parfois comiques) qui trouvent explication à la toute fin du roman.
Elinor, pour attachante qu’elle soit (beaucoup plus que sa sœur Marianne, très agaçante mais qui deviendra plus sympathique en gagnant sagesse et raison au fil des pages), est un personnage moins réussi que Liz Bennett à mes yeux. En ce sens où elle suscite moins l’empathie et l’identification qu’Elizabeth. Là où Liz est lucide et sincère, Elinor me semble parfois un peu hypocrite et méprisante (moins qu’Emma tout de même dans le roman éponyme). Edward est un personnage masculin touchant bien qu’un peu tiède (on le voit bizarrement assez peu, il est plus présent dans les pensées des autres protagonistes, que dans l’action du roman), l’inconstant et beau Willoughby est un homme que l’on adorera détester mais le personnage masculin le plus réussi et émouvant est sans conteste le colonel Brandon (bien plus charismatique et profond qu’Edward et Willoughby réunis !). Parmi les personnages secondaires, on remarquera l'amusante Mrs Jennings, curieuse invétérée à l’amitié envahissante, mais au fond très gentille et généreuse, l'hilarant pingre maladif, John Dashwood, qui se laisse dominer par sa femme sans s’en apercevoir tout en se donnant des airs supèrieurs, on trouvera également l’acariâtre belle-mère qui ne rêve que d’une bru richissime et l’habituel essaim de pestes et de rivales des héroïnes, sources de leurs maux.
Hélas le rythme du roman est branché sur courant alternatif, des moments forts certes mais aussi beaucoup de temps faibles où l’on s’ennuie. Le roman traîne un peu en longueur en s'attardant sur des considérations psychologiques portant sur les soeurs Dashwood ou sur les discussions interminables entre les personnages.
Pour peu qu’on ait déjà lu Jane Austen, on se trouvera en terrain connu et rassuré par le schéma habituel de la grande dame dans la construction de son roman. Peu de surprises donc et pas de révélations fracassantes mais c’est toujours un plaisir que de se (re) plonger dans l’univers si plein de finesse, d'ironie et de romantisme de Jane Austen.